• Références

    Critiques

    Eros des premiers temps

    La terre archaïque et la main agissante enracinent sa création. Le corps, vêtu d’espace et de vastes pigments, est le territoire d’âme et de chair de Sophie Sainrapt, et la peau semble être l’étendue infinie de sa pure respiration. Corps-univers traversé des lointains du monde, quand la courbe illimitée féminise à jamais les contours. Vitalité d’une matière plus que sensible, dense et sensuelle. Créés quasi sculptés, ces corps à l’impressionnante frontalité sont à la fois ultimes et premiers, saisis en prodigieux surgissements monumentaux, densifiés à vie, et tous cernés d’implacable essentialité. En innocence absolue.

    Chaque dessin est corps d’amour et de vie, fluide et souverain, dans l’essence dégagée des formes cernées de la vraie vie, et dans l’extrême liberté du geste. Eros cosmique des premiers temps.

    Sophie Sainrapt œuvre au profond. Amoureuse du monde, des êtres et des formes vives, qu’elles soient abstraites ou figuratives, jamais elle n’agresse. Artiste de la plénitude, elle concrétise les élans telluriques du dedans. Elle les installe au-dehors. Ses corps de grand dessin-peinture deviennent ainsi de formidables effigies humaines, décisives, capitales, et toujours ciselées au scalpel.

    Noirs et rouges, les corps somptueux de Sophie Sainrapt, chargés de ce lourd dualisme chromatique qui dramatise l’existence, ont bu des coulées de ciel et dévoré des langues de terre. Ils n’ont plus besoin du désir de survie. Ils se sont délivrés, au fil du temps de la création, de leurs peines et de leurs lacunes. Puisant dans leurs sources primitives, ils n’exacerbent jamais, et des allures de plénitude les transportent. D’une présence sacrale et nue, ils sont là pour être là. Ils sont couleurs de nuit, d’artères qui palpitent, de paix fraternelle, d’instincts agissants et de pulsions fortes. Soclés au sol de nos vies, ils sont présents à l’univers tout entier. Demeures de plénitude et de peau.

    Œuvres dures et âpres, intemporelles, et toutes travaillées de tensions fortes qui définissent la vie réelle, au creux lourd des vies secrètes. Comme si les énergies latentes de l’univers, conjuguées aux structures corporelles, à travers les gestes de l’artiste chamanique, sculptaient à vif ces souples et imposantes postures d’humanité. Les vérités du corps, ici, comptent plus que celles de l’intellect. Elles traquent le destin. Elles rejoignent enfin les puissances de l’animalité, quand le corps humain, à la fois animal et divin, rêve encore à vie haute des paradis perdus, et dit crûment et à vif l’intimité perdue de nos origines.

    L’Occident, l’Afrique et l’Asie font ici passerelle partagée. Et le singulier rejoint l’universel. Tout fait un dans l’œuvre intègre d’une créatrice détachée des affres de l’ego et des illusions de la possession. Nés d’eux-mêmes et d’une artiste-démiurge, toujours issus de modèles singuliers, bien vus et très vivants, les corps de Sophie Sainrapt ont l’âge de la terre.

    Noirs sont ces rythmes lourds et aigus qui emportent ces architectures charnelles, comme autant de pans d’opacité qui jailliraient de la nuit des temps… Vénus d’ombre, d’éclairante boue, et d’abîme habité.

    Rouges des énergies du sang et des geste vitaux, ces Vénus écarlates incantent l’étendue. Elles calligraphient charnellement le monde de leur fabuleuse présence arrachée à la mort-vie.

    Christian Noorbergen
    Septembre 2020

     

    Et le noir vient à la femme

    Noirs de femmes est peut-être la révélation d'une période très spéciale, même s'il est certain que le noir doit arriver un jour à l'artiste. Mais les noirs de Sophie évoquent la volupté de l'ébène, comme pour inviter au voyage dans les sentiers très secrets des abysses de l'intime.

    Entrons alors dans ces jardins par une porte dérobée, de nuit, quand tous les chats sont gris...

    Dans cette série, l'artiste utilise des fusains-aquarelle, qu'elle estompe aussi avec de l'eau. Elle charge en noir, pour apporter à la peau du précieux papier asiatique, cette profondeur liquide qui donne l'intensité et la vibration contenue dans le pouls de ce flux que l'œuvre dévoile et raconte.

    À quoi pense un peintre, quand il s'attaque au noir ?

    Chez Sophie le noir est probablement lié à cette quête de fouiller dans les entrailles du sens des choses. Le noir, la femme, le sexe et ses confidences sur fond d'atelier, il ne reste qu'à regarder, qu'à écarquiller les yeux pour entrer dans une réflexion originelle. Courbet caressait son origine du monde, mais Sophie fait mieux encore, elle nous confie le code du grand mystère de notre sensualité la plus animale : miroir qui reflète notre image à l'état brut, dans ce cérémonial entièrement voué au sexe féminin, dans l'éblouissement que confèrent ses replis et ses vallons les plus inexplorés.

    Mais que les mots sont pauvres, pour évoquer toutes les sensations, quand une œuvre vous bouleverse! Laissons les s'effacer devant le plaisir des sens que connaît bien l'amateur de cette forme d'expression artistique, dans ce besoin essentiel de retrouver le frisson.

    Mylène Vignon
    Août 2017

    http://www.saisonsdeculture.com/

     

    Art To Go, sous le signe de la féminité

    [L’expo coup de cœur de l’été de notre journaliste Ileana Cornea]

    Critique d’art, commissaire d’expositions, la passionnée Véronique Grange–Spahis remue ciel et terres pour faire connaître des artistes qui valent la peine d’être montrés aujourd’hui.

    Dans « Art to go » (« Art à faire »), elle présente des œuvres de petits et moyens formats qui semblent conduire, induire, produire, traduire, provoquer… Manifestement, la séduction s’inscrit dans cette exposition sous le signe de la femme. Trois artistes, trois manières : « Femme y es-tu ? »

    De plus en plus, les corps exquisément érotiques de Sophie Sainrapt imposent leur singularité graphique sur la scène artistique actuelle. Le trait qui les cernent disparaît par moment comme happé par l’écume ou je ne sais qu’elle explosion mystique faisant penser au suicide cosmique de la légendaire Lucrèce alors que dans ses gravures, il devient incisif et noir, mordant le papier comme Eve le fruit défendu. Son iconographie désinvolte et osée scandalise les puristes et les institutions.

    Les gouttes de couleur en résine de Catherine Ludeau représentent une belle découverte. Travaillé jusqu’à obtenir une transparence lumineuse et une malléabilité particulière, ce matériau visqueux semble transmuter la matière. Des formes embryonnaires d’une surprenante vitalité apparaissent sur la toile blanche. Leur énigmatique ductilité laisse deviner que l’artiste explore le côté spirituel et aquatique de l’idée que l’on se fait du féminin mais aussi son côté terrestre et impudique comme au début du siècle dernier, Gustave Klimt.

    Les femmes dans les dessins du designer François Duel semblent être des séductrices dangereuses…

    Dès lors, une belle petite exposition en perspective, à voir, à savourer.

    Jusqu’au 30 juillet - 11 rue Chapon à Paris (3e)

    Ileana Cornea
    Juillet 2017

     

    Sophie Sainrapt, ses tracés d’immensité

    Les taches vitales, les corps et l’univers s’étreignent. L’œuvre entière n’est que chair vive, sables charnels et traces vitales. Le corps innombrable voyage en majesté dans tous les possibles du féminin, quand l’insondable étendue absorbe lentement les apparences de la peau. L’intimité sans frontière, à fleur de surface et de dense dessin, prend tout l’espace à son compte. Sensualité latente, assumée, délicate, respectueuse, et infinie... Art tribal et chargé, souple et puissant.

    Dans les forts dessins de Sophie Sainrapt, toutes les féminines mémoires du monde ont laissé leurs sensibles sillages, mais l’insidieuse présence nue, dans sa sidérante contagion, abolit tout souvenir. Somptueuse monumentalité de ces corps d’immensité, hors du temps fabriqué des surfaces. Souveraine charge de vie. Somptueuse chorégraphie de ces corps mouvementés, hors des images installées des évidences. Sophie Sainrapt invente des corps familiers et lointains. Familiers dans leur incroyable et monumentale proximité, et lointains parce qu’ils s’appareillent à l’universalité. Ce sont corps sans pouvoir de parole, vêtus d’espace, de signes et de peinture, miraculeux, primitifs et contemporains. Corps de vertige et de hauteur. Cet art aérien, joliment scabreux, fluide et tonique, voyage en saisissant pays d’impertinence.

    Les rumeurs d’Eros

    Sophie Sainrapt s’aventure à vif, dedans-dehors, dans les talismans de notre seule demeure réelle, le corps éternisé. Dans l’innocence absolue du voir, son dessin cru est une libération mentale contre toutes les hypocrisies culturelles et cultuelles… Et ses tracés traquent la vie. Elle embrase les fièvres de l’univers, et sa voie de chair s’élève sans cesse vers les hauteurs. Le monde est un drap immense où le temps défait les entraves, et le corps un sublime écrin de chair ouverte et tendue. La brutalité des couleurs, comme le sang, s’est retirée. Absolue pureté de cette nudité sans fin dessinée, quand les rumeurs d’Eros s’éloignent des obscènes souillures du péché originel.

    Des corps-paysages

    Sophie Sainrapt, entre blancheur et opacité, joue admirablement de tous les registres graphiques. Elle refuse la tyrannie sommaire du trait. Des poussières font pointes de ciel et de peau, et la tache allusive est son amie. D’une fluidité nuageuse, elle libère les enveloppes charnelles qui s’agitent au fond des espaces du dedans. Elle fait remède à tous les blocages. Elle invente des corps immaculés qu’aucune bassesse ne pourra jamais atteindre, ni faire disparaître. Elle les sacralise. Elle assume en puissance la trame de l’archaïque nudité, et la gangue de chair la plus surgissante. Elle rêve d’étendue. Elle rêve d’une étendue habitée. Elle rêve d’une femme-univers. Ultime et sans frontière. Les corps, immensément ouverts, sont des paysages de chair. Edéniques et premiers. Parfois, cependant l’opacité poignante, un rien tragique, enrobe les corps et les troue.

    Sophie Sainrapt ensemence le vide, et la plénitude croît. Chez elle, le trait exulte. Il exalte le regard. Et l’amour des signes et des traces dit sans fin l’amour du monde des hommes et des femmes. De la plus belle humanité. Christian Noorbergen

    Christian Noorbergen
    2016

     

    Ileana Cornea parle...

    Dans cet extrait vidéo - tiré de Mots d'elles, réalisé par Claude Yvans à l'occasion de l'exposition Printemps des femmes - Iléana Cornea, écrivain d'art, nous parle du sexe des femmes en relation avec mon travail.

     

    Les femmes de Sophie Sainrapt

    La femme est le paysage…

    L’Eros “jubilatoire, exubérant“ de Sophie Sainrapt prend tout l’espace à son compte. Le corps est son territoire. Elle marche sur la peau comme sur une terre de feu. Les femmes qu’elles dessinent traversent le réel. Elles ne sont pas battues, ni blessées, ni abandonnées. Elles jouissent d’être et de naître sur le papier.

    Le graphisme agissant est plus libre que la liberté. Il enclôt le hasard, l’instinct du geste, et l’irruption de l’instant.

    On voit des ravins, des ravines, des giclures, et des plongées qui n’en finissent pas de parcourir des étendues vibrantes de chair vive. La frontalité des corps qui surgissent est celle d’un miroir vertical. Il s’arrache le temps du regard au marécage du quotidien, de l’horizontalité, et des images de surface.

    Du dehors au dedans, infinis sont les passages, au pays de la peau immense. Les lignes aventureuses de Sophie Sainrapt, inventives, jouissives, et toujours éveilleuses d’énergies vitales, plongent d’emblée au cœur du corps intime… Et le corps-animal s’étire aux quatre coins du désir. Le corps d’Afrique est cerné, comme celui d’Asie, et d’ici. L’or d’Asie coule dans la nuit. Le bleu profond d’Afrique étreint le noir de la peau. Son cul écarte les horizons, et on voit bien qu’elle porte le ciel. La femme blanche est rousse, et ses cheveux de flamme lui dévorent la tête. Les fesses disent des trous d’immensité, où se cachent les failles de l’univers. Des vagues de sperme blanc hurlent contre les falaises de la nuit.

    Sophie Sainrapt ne s’occupe pas des apparences identitaires, mais elle fouille l’impensable vérité du corps ; ses fentes d’étendue n’en finissent pas de féminiser l’espace. Quand il ose respirer sa vie, l’univers est une femme, et l’homme un accident qui regarde…

    Les cernes de ces corps éblouis sont des tracés de doigts, des caresses graphiques. Sophie Sainrapt a mis la main à la pâte. Il y a des taches qui font taches sur le décor des corps. La mort voudrait salir la peau, elle voudrait dire sa possible venue, sa souillure, et ses maladies d’amour. Sophie n’en a cure. Elle jette des îles d’opacité qui frôlent les corps pour en signaler les charges de vie.

    Ces œuvres aigües sont autant de cibles visuelles à l’impact graphique prodigieusement pénétrant. Art souple et foisonnant de toisons indiscrètes et d’émotions secrètes. L’ordinaire culpabilité judéo-chrétienne n’est pas son fort. Elle explore librement les corps tendus des cultures du monde. Ses femmes-univers incantent l’étendue. Elles envoûtent la peau des rêves. L’art sans frontière de Sophie Sainrapt abreuve les sources d’un mental ouvert aux énergies du monde. Art d’humanité solaire, brûlante et généreuse. L’Eros abolit le poison des entraves moralisantes, toujours tristement tueuses d’âme, et brûle l’horizon des cultures.

    Sophie Sainrapt, violuptueuse et chamanique, s’ouvre à la chair des signes, et sa main, au plus près du dedans, fait l’amour à la beauté nue, et au frêle papier… Les forces vitales la traversent. Elles les laissent passer. Elle transmet. Ellese laisse porter par de fulgurances éruptions charnelles, et le fantasme infini s’abandonne aux fluidités du désir, sans faille et sans borne. L’artiste est un passeur incontrôlable.

    Le corps innombrable aimante l’univers. Il absorbe les différences, et fait naître l’échange. “Toute vie véritable est rencontre.“ Et le trait épars et vif de Sophie Sainrapt, comme un scalpel amoureux, décape les surfaces et fait vivre au jour les remuements du dedans où se créent les creux des beaux fantasmes. L’art vit de ces braises chaudes.

    La sexualité, c’est le véritable sacré de l’humanité“, m’a-t-elle dit.

    Christian Noorbergen
    2013

     

    Art du nu

    Cuisses rondes et sexes vantards défiant les éclaboussures d’encres narguent les regards. Les bouches sensuelles de ces femmes évoquent le sourire inauguré en peinture, par Klimt.

    La nudité de la femme noire semble s’abîmer dans un bleu profond et grave. L’asiatique délicate vacille dans l’écheveau des traits. Tâchées de jaune, solaires, les lignes esquissent jusqu’à la satiété le corps éclaté, de la blonde jouissive, l’aura de la rousse enflamme. Les sans pudeurs de Sophie Sainrapt exhibent leurs attraits en pleine page, en gros plan.

    Pour soutenir le délire de la couleur et son appétit de peinture, l’artiste compte sur le dessin. Elle travaille sur le motif interprétant le corps des femmes avec une liberté peu farouche.

    Chez Sophie Sainrapt, la vitesse de l’exécution détermine une figuration fluide et jubilatoire reflétant l’hardiesse et la particularité de son art.

    Ileana Cornea
    Art du nu III - Janvier 2011

     

    "La femme de Pierre" Louÿs

    Du dehors au dedans, infinis les passages, au pays des seins et des rapts, là où les saints sont ravis d’être damnés…

    Si le livre audacieux de Pierre Louÿs se voile parfois d’emphase verbale, voire d’une savoureuse surcharge formelle, Sophie Sainrapt, « fleur étrange et rare », dépoussière le texte de ses possibles fioritures. Elle affronte à chaud la crudité latente des actes d’amour, enchantée par les mots. En prise directe avec la nudité fantasmée d’un sexuel à découvert, ses lignes directes et ses formes aimantées, veilleuses d’énergie vitale, plongent d’emblée au cœur de l’échange intime…

    Les mandalas érotiques de Sophie Sainrapt envoûtent les fusions charnelles les plus cernées, les plus dépouillées, les plus fortes et les plus archaïques. Jamais elle ne succombe aux élégances des vapeurs charnelles, un rien trop cultivées, hypocrites et policées. Sa verdeur assurée, loin des polissonneries libertines, traverse la clarté stupéfiante du mythique paysage sexuel, exploré du dedans.

    Ces œuvres aigües sont autant de cibles visuelles à l’impact graphique prodigieusement pénétrant. Art souple et foisonnant de toisons indiscrètes et d’émotions secrètes. Art travaillé d’emportements lourds et de coulées légères. Art de courbes qui s’emmêlent, et de sèves douces qui humanisent. Art de trouées qui s’exaltent, et d’élans qui transgressent. Art de solaires jouissances, toutes joliment séminales, gainées d’érectiles caresses, au sublime sourire vertical…

    La trame incendiée des contacts crus, soignée par un tracé superbement décanté, presque hiératique, irradie ces feuilles coïtales, éprouvées et « chargées », comme si la quintessence fusionnelle, en deçà des sommaires distinctions du féminin et du masculin, imposait un alphabet dynamique, originel et agissant : l’alpha et l’omega des profondeurs amoureuses. Nées des orifices du monde, des ondes de chocs vibrent dans l’univers.

    Sophie Sainrapt, voluptueuse et chamanique, ouvre la chair des signes, et surgissent, à cru et à vif, les beaux organes de l’art, sous les dessous des cultures.

    Sa main, au plus près de la peau, fait l’amour à la beauté nue, et au frêle papier…

    Christian Noorbergen
    Illustration de "La femme" - 2009

     

    Traque d’Eros

    À l’évidence, Sophie Sainrapt traque Eros ou plutôt les traces de sa présence sur le corps des femmes. Et elle le fait en utilisant le dessin, la gravure et la peinture. Le geste est vif, les poses lascives souvent, agressives même, au sens où elles dénotent la présence de forces qui semblent secouer les corps comme des décharges électriques. Masses envahissant le rectangle du papier, ces corps imposent leur présence comme de vivantes statues perdues dans un monde sans décor. C’est que tout ce qui leur arrive ne dépend pas de ce qui les entoure mais de ce qui les traverse. Ces corps féminins semblent chercher à tenir contre ses forces qui tentent de le pousser hors du cadre et en même temps les contraignent à exister en faisant front. Mais Sophie Sainrapt avec la complicité de Didier Genty déplace la question du dessin et de la peinture, c’est-à-dire de l’axe corps-cerveau-main et lui fait rencontrer une actualité plus brûlante, celle de l’image numérique, et donc de l’axe appareil-doigt-œil.

    Didier Genty a en effet repris les œuvres de Sophie Sainrapt et les a numérisées puis retravaillées. Ce qui apparaît alors, c’est que le corps devenu image se retrouve en proie à d’autres forces qui sont littéralement des forces de dissolution. Ces pixels et les couleurs constituent ces forces, ils ne font pas que les rendre visibles. Ils travaillent les corps représentés par l’axe corps-cerveau-main au point de les dissoudre pour les faire paraître dans une nouvelle lumière qui semble sous bien des aspects violente, voire mortelle. Ainsi l’axe appareil-doigt-œil peut-il être compris comme un système de forces qui, à ne tenir pour réel que la surface, va jouer à partir de cette surface pour la transformer. Ce qui se révèle est à la fois une évidence et une chose du passé, à savoir que les dessins et la peinture s’inscrivent, même en l’absence de tout décor représenté dans le tableau, dans l’espace ou plutôt qu’ils inventent l’espace. C’est contre cet espace que l’image bidimensionnelle et sans profondeur met en scène ses protocoles et c’est ce conflit que révèle de manière très claire le travail et Sophie Sainrapt et de Didier Genty.

    Jean-Louis Poitevin
    lacritique.org - Janvier 2008

     

    Les animaux de Sophie Sainrapt
    Sur la portée d'un poème de Francis Ponge

    Les animaux de Sophie Sainrapt sont "étrangers au monde" comme les pensées "les plus chères" de Francis Ponge. Dans son poème intitulé Drame de l'expression l'écrivain justifie la particularité de son art ainsi : "Mes pensées les plus chères sont étrangéres au monde, si peu que je les exprime luiparaissent étranges. Mais si je les exprimais tout à fait, elles pourraient lui devenir communes. Hélas ! Le puis-je ? Elles me paraissent étranges à moi-même. J'ai bien dit : les plus chères..."

    Une suite (bizarre) de référence aux idées, puis aux paroles, ouis aux idées. Ce poème est d'une flexibilité inouïe. Le travail sur papier de Sophie Sainrapt (les érotiques et le bestiaire) rejoint l'art de ce type de poésie. Les images disent ce qu'elles veulent dire. Elles disent aussi ce qui leur échappe. Dans ce travail, il y a cet essentiel dont parle Francis Ponge en ce qui concerne la création : « Mais si je les exprimais tout à fait, elles pourraient lui devenir communes. »

    Par exemple : dans la gravure le Corbeau et Le Renard, « La référence aux idées, puis aux paroles, puis aux idées » est évidente. Seulement son oiseau gribouillis, graphité, vole à l'envers comme un personnage étrange de Chagall. Cet autre, les ailes ouvertes à l'image des bras d'un violoniste avant qu'il ne se mette en position a l'air d'un oiseau-violoniste. Le très haut perché corbeau sans plumes, comme sculpté dans la brique, « philosophe » sûrement quelque chose. Suit le renard sous la forme d'une ombre portée montant sur le tronc d'un arbre, c'est la ruse. Le tout, c'est une fable.

    Ileana Cornea
    Août 2005

     

    Les nus intemporels de Sophie Sainrapt

    On aurait cru la chose impossible: au début du XXIe siècle, une artiste parfaitement informée des péripéties de la modernité s'entêtant à peindre et dessiner des nus! Les grandes figures à l'encre de Chine sur papier de Sophie Sainrapt ne sont cependant en rien des actes réactionnaires, ce ne sont pas des ruminations passéistes. Ces nus témoignent plutôt d'un besoin vital de dialoguer au -présent avec l'une des origines mythiques de l'art, qui est un tableau perdu. Nul n'a vu depuis plus de vingt siècles l'Aphrodite anadyomène peinte par Apelle à la fin de sa vie. Nous savons seulement qu'elle fut considérée comme le comble de l'art par l'Antiquité et nous sentons bien qu 1 aujourd'hui encore l'idée de beauté (elle a la vie dure) et le corps féminin ont partie liée.

    Les nus de Sophie Sainrapt ne sortent pas de l'écume des eaux, mais ce sont de véritables nus, non des prétextes comme la prostituée blafarde que Thomas Couture peignit en 1847 au premier plan de ses Romains de la décadence, littéralement habillée par les lourdes intentions littéraires et mythologiques du maître académique'. Et ce ne sont pas davantage des échos de l'Olympia de Manet qui en fut la scandaleuse antithèse: cette impassible professionnelle de l'amour vénal qui n'est à vrai dire pour nous un « nu » qu'en tant qu'il s'efface dans la nudité de la peinture.

    Les nus de Sophie Sainrapt sont d'aujourd'hui, et incarnent tout autre chose qui serait la traduction d'un mouvement. Pour faire naître une oeuvre, Sainrapt a besoin d'un corps essentiellement mobile dont elle entend capter l'essence du rythme charnel. De là une rencontre qui n'a rien de fortuite avec l'idée de l'art telle que la formula Paul Klee dans sa Théorie de l'art moderne : « L'oeuvre d'art naît du mouvement, elle est elle même mouvement fixé et se perçoit dans le mouvement ... » Les nus de Sophie Sainrapt apparaissent avant toute chose comme des mouvements fixés, et c'est assez pour qu'ils rejoignent mystérieusement la Vénus antique devenue mythe parce qu'elle n'était pas d'abord un corps mais l'inexprimable grâce d'un mouvement.

    (Sous le nom de Sophie de Maistre, Sophie Sainrapt est aussi responsable des expositions estivales de l'Orangerie du jardin du Luxembourg à Paris. Le Sénat finance en effet en ce lieu des expositions d'art contemporain gratuitement ouvertes au public. Le commissariat des deux dernières a été successivement confié par Sophie de Maistre à Alain Avila et Marie Sallantin).

    Jean-Luc Chalumeau
    Arts et lettres n°33 - Janvier 2004

     

    Labyrinthe

    Le corps humain est le thème privilégié de Sophie Sainrapt. Elle dessine, grave et peint des corps qui paraissent en suspens, comme à l'écoute de leur propre désir, ou encore traversés par la souffrance. Ce sont des femmes en attente, des couples, aux étreintes violentes ou bien subjugués par le magnétisme d'une possible proximité affective, des vierges à l'enfant laïques dont le rapport fusionnel laisse pressentir la séparation. D'une image à l'autre, tant la souffrance que le plaisir se manifestent pourtant dans une certaine indifférence.

    Possédés par quelque chose qui les transcende, les hommes et les femmes de Sophie Sainrapt témoignent de cette élégance mélancolique qui traduit toujours une certaine indifférence. Possédés par quelque chose qui les transcende, les hommes et les femmes de Sophie Sainrapt témoignent de cette élégance mélancolique qui traduit toujours une certaine absence à soi-même. S'ils attestent ainsi de la solitude des êtres, ils peuvent aussi afficher la sereine déréliction d'un Christ triomphant, pleinement souverain par-delà la souffrance.

    Sophie Sainrapt tend vers un primitivisme de la chair qui rend les êtres interchangeables. Les hommes et les femmes des couples sont ainsi semblables jusqu'à l'étrange. Le féminin participe par sa puissance du masculin, alors que le masculin se voile à son tour d'un certain mystère. Même lorsque la figure féminine est solitaire, elle exprime une dualité fondamentale qui la fait participer de son contraire.

    Ailleurs, c'est par la posture ou, par la gestuelle que l'artiste poursuit une mise en scène du corps humain dont le dédoublement continu renverrait au labyrinthe. En effet, il s'agit d'un seul et même lieu d'expression, mais ses méandres sont infinis, ces corps répétés ne traduisant en somme qu'un seul et unique corps à corps avec la peinture.

    Sophie Sainrapt cherche à capter la vie à travers les magnétismes qui relient les êtres. La condition humaine n'est pour elle qu'un acte constamment déterminé par l'éros comme force universelle. Elle sait pourtant que la restitution de celui-ci ne peut passer par la seule image. Elle opère donc par une disjonction des signes. À travers de m multiples procédés de dissociation et de mise en évidence, ses oeuvres juxtaposent toujours les signes de la mimesis et les signes de la peinture. L'image doit ainsi pactiser avec des éclaboussures, des traînées, des coulées et des giclées, des collages ou des vides qui perturbent ou interrompent le visible.

    Autrement dit, la figuration permet aux personnages de camper dans l'espace tandis que les signe s non-mimétiques de la matière picturale transcrivent la force du désir, le souffle d'Éros, le travail sans cesse repris et inachevé de la pulsion vitale.

    L'homme et la femme à la recherche l'un de l'autre, en quête d'épanouissement, finissent-ils par se rencontrer et fusionner, ou est-ce une illusion ? Peut-on en percer le secret ? Une entrée, un passage.

    Laurence Debecque Michel
    Mai 2004

     

    Une artiste en marche vers son œuvre

    C'est en rêvant devant une reproduction de Pissaro accrochée au mur de sa classe que Sophie Sainrapt dit avoir pour la première fois eu envie de devenir peintre. "je devais avoir 8-9 ans, c'était un paysage avec un chemin de halage, des arbres et l'eau qui d'étire...". Mais comme souvent à cet âge où l'on se rêve d'être, ce désir n'était encore qu'une nébuleuse qui n'avait pas de réalité.

    Pourtant à l'adolescence, sa mère, qui l'avait senti, et comme pour la faire patienter, l'inscrivit trois années de suite dans un atelier de dessin. Puis ce fut le passage obligé des études, celles de Droit, la préparationaux concours qui l'éloignèrent de son envie première. Aussitôt assurée de son indépendance, Sophie Sainrapt s'engage dans la peinture et rejoint l'atelier d'Hashpa pour les années d'apprentissage des techniques picturales.

    Curieuse, elle se passionne pour l'art, les oeuvres mais aussi pour les artistes. En témoignent sa participation à la constitution et aux expositions du groupe Art en Seine (aujourd'hui disparu), ainsi que, depuis sa création il y a quatre ans, le rôle prépondérant qu'elle joue dans l'organisation et l'animation de Art Sénat.

    Tenace, la femme qu'elle est mène de front un travail prenant, une famille dont elle assure seule les responsabilités et sa nécessité de peindre. Consciente d'être une femme inscrite dans son époque, elle cherche à vivre et à traduire toute l'ambivalence du féminin dans une sorte de corps à corps avec la peinture et l'expression plastique.

    "Mes sujets préférés ? L'être humain, les corps, les visages, la vie dans tous ses états, sa sensualité et sa violence." En relation avec son monde intérieur, ses questionnements, ses certitudes, ses doutes et son appétit pour tout ce qui l'entoure, elle avance à la recherche d'elle-même et de son expression, au plus près, sans tricher, les sens en éveil et les yeux grands ouverts.

    Odile Dorkel
    Collaboratrice de la revue Area - 2003

     

    Sophie Sainrapt ? Un peintre à tempérament !

    L'univers poétique de Sophie Sainrapt, c'est la femme et son obsession stylistique, c'est l'effacement de l'image. Dans ses toiles, Sophie Sainrapt exploite le côté mélancolique de la peinture. Comme la jeune femme de Corinthe qui entoure des lignes l'ombre de son fiancé projetée sur un mur. Sophie peint pour combler un vide, pour ne pas oublier ce qu'elle connaît, ce qu'elle aime, ce qu'elle trouve beau ou digne de mémoire. Elle reproduit la réalité à son image, un peu comme Dieu crée le monde de sa mémoire divine. Le monde de la peinture est différent du monde créé par Dieu, il meurt moins souvent.

    L'effet consolateur des oeuvres d'art pour notre regard inquiet c'est l'illusion d'éternité qu'il nous procure. Tout cela peut paraître bien triste, mais avec tout cela Sophie Sainrapt s'amuse. Sa capacité d'adaptation à la peinture est incroyable. Elle vit ce qu'elle peint, ce qu'elle ajoute comme matière, ce qu'elle déchire comme support.

    Ses femmes sont aussi monumentales que les colonnes de l'église de la Madeleine à Paris. Massives, masculines, conventionnelles, elles trahissent la fascination de Sophie pour la force et la puissance du masculin caché dans un corps de femme. Ce thème est récurrent dans son travail, comme si l'homme et la femme s'engageaient dans une sorte de compétition ontologique qui se joue à l'intérieur d'un seul étrange corps.

    J'aime les papiers, les images noir et blanc, les gravures, les grattages. J'aime l'écriture à la pointe sèche de Sophie. En les examinant une à une, elles me livrent un tas de secrets. Ces ceuvres de petit format, presque littéraire, me semblent pleines de mystère. Quand le burin glisse, c'est comme la langue qui fourche, il invente un nouveau langage. Libre de toute contrainte, ce travail fait de peps et de tendresse, de liberté et d'angoisse, est à l'image de l'artiste : Sophie Sainrapt ? Peintre à tempérament !

    Ileana Cornea
    Octobre 2003

     

    Les érotiques

    Le sexe est l'un des versants de son travail parmi d'autres. Mentionnons l’illustration d’un recueil de poèmes de Verlaine (« Femmes » et « Hombres »). Il s’agit de gravures pornographiques – ne lésinons pas sur les mots, c’est bien de cela qu’il s’agit. « J’ai réalisé ces gravures-ci chez Pasnic. Là-bas, Pascal et Nicolas travaillent de façon assez originale la gravure. »

    Sophie a étudié pendant trois ou quatre ans la gravure « traditionnelle » et a passé des années d’apprentissage dans les ateliers de peintres parfois célèbres – dont Hashpa.

    Mais pourquoi illustrer Verlaine ? Sophie a aimé le double texte du poète (« Femmes » est consacré à un Verlaine hétérosexuel, « Hombres » est dédié à son homosexualité) précisément pour cet aspect double.

    Disons-le, car c'est important : Sophie est très influencée par l’image de Janus (qu’elle a mis en scène dans certains de ses travaux). La violence, la brutalité expressive du trait s'oppose en effet très radicalement à la douceur que présentent d'autres travaux. Manifestement, Sophie a connu des épreuves. Elle cite volontiers une phrase de Nietzsche : « Tout ce qui ne nous anéantit pas nous renforce ».

    Emmanuel Luc
    Août 2003

     

    La chute des anges de Sophie Sainrapt

    On sait que c'est en pratiquant l'anatomie sur des cadavres que Leonard de Vinci changea le cours- et le corps - de la peinture. A l'instar de Rodin qui concevait ses sculptures comme des morceaux choisis arrachés à l'anatomie, Sophie Sainrapt à son tour aime à dépecer le corps humain, pour mieux le comprendre, le magnifier, le détruire et le reconstruire.

    Son Homme morcelé est un Adam circulaire réduit à l'état de portions de chair charbonneuse que l'on envoie aux chiens, ou mieux, à des créatures démoniaques tout droit sorties de l'Enfer de Bosch, et revisitées en rouge et vert au monotype.

    Devenu Prométhée en révolte contre l'ordre de Dieu, Adam ne quitte plus en pleurant le Paradis terrestre, mais en serrant le poing, prêt à se battre. De tentatrice, Eve est devenue consolatrice : elle l'incite à la paix. Maculés de terre brune, séparés par un 1 grillage comme derrière un barbelé de prison, ces deux premiers hommes chassés du jardin d'Eden font de La Chute un Jugement Premier qui refuse toute malédiction.

    La figure sans cesse recommencée de l'enfant qui dort devient alors une multitude d'anges à l'état de veille. Enfant elle-même de la bombe et des catastrophes, Sainrapt remodèle ces petites faces en bombant leurs contours à la manière d'apparitions urbaines.

    Arbre de Jessé en même temps qu'Arbre de Vie, un lourd tronc noueux exhibe des fruits comme autant de corps féminins à saisir et à enfanter. L'Enfer n'existe que pour celui qui l'admet.

    Emmanuel Daydé
    Commissaire de l'exposition Jardins des Délices - 2000